Une volonté européenne de promouvoir l’éco-conception ?

Dans la lignée du Pacte Vert européen, qui vise une neutralité climatique de l’Union à l’horizon 2050, un nouveau jalon réglementaire a été posé en matière de durabilité des biens, il s’agit du  règlement 2024/1781 sur l’éco-conception. Publié au Journal officiel de l’Union européenne le 28 juin 2024, ce texte marque une refonte majeure du cadre juridique applicable aux produits commercialisés dans le marché intérieur. Il remplace la directive 2009/125/CE et élargit son champ en imposant des critères environnementaux à une gamme beaucoup plus large de produits, allant bien au-delà des simples équipements liés à l’énergie.

L’un des apports significatifs de ce règlement réside dans sa capacité à structurer les achats publics. L’article 65 autorise en effet la Commission à imposer, via des actes d’exécution, des exigences environnementales minimales aux marchés publics dépassant certains seuils. Ces obligations peuvent porter sur des spécifications techniques, des critères d’attribution ou encore des objectifs d’exécution. Le critère lié à l’éco-conception devra d’ailleurs être valorisé à hauteur de 15 à 30 % dans l’évaluation des offres, ce qui confirme la volonté d’orienter la commande publique vers des biens plus durables.

Mais au-delà du levier des achats publics, le cœur du dispositif vise à transformer les produits eux-mêmes. L’ambition est claire : obliger les fabricants à intégrer dès la conception des biens des critères de durabilité, de réparabilité, de réemploi ou encore de recyclabilité. Il s’agit d’en finir avec des logiques de production linéaire où les objets sont rapidement obsolètes, difficiles à réparer et destinés à une mise au rebut prématurée. Lutter contre cette obsolescence, parfois programmée, passe ainsi par l’instauration de normes communes à l’échelle européenne, qui traduisent une volonté de réorienter les dynamiques industrielles vers une économie circulaire exigeante.

Le règlement innove également par sa volonté de renforcer l’information du consommateur. Pour que le prix ne soit plus le seul critère de décision, des obligations renforcées de transparence sont prévues. Chaque produit devra porter à la connaissance du public des informations précises sur son empreinte carbone, sa durée de vie, sa réparabilité, ou encore ses performances environnementales globales. Ces données devront être lisibles et facilement accessibles, y compris pour les autorités de contrôle et les autres acteurs de la chaîne de valeur.

C’est dans cette optique qu’un dispositif inédit est introduit, celui du passeport numérique de produit (ci-après PNP). Ce PNP est défini comme un ensemble de données propre à un bien, disponible via un support électronique intégré au produit, à son emballage ou à sa documentation. Il peut s’agir, par exemple, d’un QR code, d’un code-barres ou d’une puce NFC. L’idée est de permettre une traçabilité complète du produit, depuis sa fabrication jusqu’à sa revente sur le marché de la seconde main. Ce dispositif ouvre des perspectives importantes pour lutter contre la contrefaçon, encourager la réparation et améliorer la collecte des biens usagés.

La mise en œuvre du PNP soulève néanmoins plusieurs défis techniques. Il faudra garantir la sécurité des données, assurer leur interopérabilité et protéger les droits des consommateurs. C’est ici qu’intervient la question du recours à la blockchain. En assurant l’inviolabilité et la transparence des informations, cette technologie distribuée permettrait de créer des registres sécurisés et consultables par différents types d’acteurs selon des niveaux d’accès différenciés. Des consortiums privés, à l’image de ceux développés dans le secteur du luxe ou de l’électroménager, sont d’ores et déjà mobilisés pour expérimenter ces outils. Le partenariat entre Fnac-Darty et Ecosystem, adossé au protocole Arianee, en est un exemple concret. Dès novembre 2024, 4 000 appareils électroménagers utilisés dans le Village Olympique de Paris 2024 ont ainsi été équipés d’un passeport numérique sécurisé via la blockchain.

À terme, la généralisation du PNP deviendra une condition d’accès au marché pour certaines catégories de produits. Le règlement prévoit que cette exigence s’appliquera en priorité à l’acier, à l’aluminium, aux textiles, aux pneumatiques, aux matelas et aux meubles, en plus des batteries électriques déjà concernées par un règlement spécifique (UE 2023/1542). Ces catégories ont été choisies en raison de leur impact environnemental élevé et de leur potentiel de circularité.

Enfin, les acteurs tenus par ces nouvelles obligations ne se limitent pas aux seuls fabricants. L’expression retenue par le texte  d’« opérateur économique mettant le produit sur le marché », inclut également les importateurs et distributeurs. Des prestataires spécialisés pourront héberger les données du PNP pour garantir leur accessibilité à long terme, même en cas de disparition de l’opérateur initial. Cette vigilance sur la durabilité de l’accès à l’information traduit bien l’enjeu systémique que constitue ce passeport, il n’est pas simplement un outil d’information, mais un levier juridique de transformation du marché.

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Le droit du contrat d’assurance à l’épreuve des risques climatiques