Comment appréhender les allégations environnementales ?

La directive européenne 2024/825, adoptée en 2024, modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs une meilleure protection contre les pratiques déloyales, vise à encadrer désormais les allégations environnementales des entreprises afin de lutter contre l’écoblanchiement et de garantir une information fiable aux consommateurs. En droit interne, l’article L121-2 du Code de la consommation, modifié par la loi Climat et Résilience de 2021 qui intègre l’impact environnemental notamment. Face à l’essor des revendications écologiques dans les stratégies marketing, souvent exagérées ou infondées, l’Union européenne a décidé d’instaurer des règles strictes pour s’assurer que seules les entreprises ayant un véritable engagement durable puissent afficher des labels et des affirmations écologiques. Cette mesure s'inscrit dans le cadre plus large du Pacte vert européen, qui a pour ambition de faire de l’Union européenne un leader mondial en matière de durabilité et de protection de l’environnement.

La directive donne une définition des allégations environnementales, il s’agit, en vertu de l’article Premier, de « tout message ou toute déclaration non obligatoire, […] sous quelque forme que ce soit, […] dans le cadre d’une communication commerciale, et qui affirme ou suggère qu’un produit, une catégorie de produits, une marque ou un professionnel a une incidence positive ou nulle sur l’environnement, est moins préjudiciable pour l’environnement que d’autres produits, catégories de produits, marques ou professionnels, ou a amélioré son incidence environnementale au fil du temps ». Le fait d’alléguer sur une information environnementale est une démarche commerciale volontaire mettant en avant une caractéristique environnementale du service, du produit et/ou de son emballage. La définition donnée dans la directive est volontairement large puisque la déclaration peut-être faite sous quelque forme que ce soit, ce qui implique de cette façon les communications faites via des plateformes numériques.

En février 2024, l'UE révise alors sa liste noire des pratiques commerciales déloyales afin d'y inclure une série d'allégations trompeuses et de pratiques d’écoblanchiement. 

La liste des pratiques interdites comprend ainsi la formulation d’une allégation environnementale générique suggérant ou créant l’impression d’une excellente performance environnementale, telle que «respectueuse de l’environnement», «écologique», «respectueuse du climat», «sobre en carbone», «économe en énergie», «biodégradable» ou similaire, sans reconnaissance d’une excellente performance environnementale à l’appui d’une telle allégation. 

On retrouve aussi sur la liste, l’affichage d’un label de durabilité qui ne se fonde pas sur un système de certification ou n’est pas établi par les autorités publiques. Avant d’afficher un label de durabilité, le professionnel doit veiller à ce qu’il remplisse les conditions minimales de transparence et de crédibilité et qu’un contrôle objectif du respect des exigences du système est assuré. Ce contrôle doit être assuré par un tiers dont la compétence et l’indépendance sont garanties sur la base de normes et procédures internationales, européennes ou nationales.

Il est aussi possible de retrouver la formulation d’allégations, fondées sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre, qu’un produit présente un impact neutre, réduit ou positif sur l’environnement en termes d’émissions, qui peuvent faire croire à tort au consommateur que ces allégations portent sur le produit lui-même ou sur la fourniture et la production de ce produit, ou que la consommation de ce produit n’a pas d’impact sur l’environnement.

En matière d’allégations environnementales, certaines multinationales investissent dans des stratégies de communication « verte », entretenant un décalage croissant entre discours public et pratiques réelles. Le contentieux engagé contre TotalEnergies par plusieurs ONG illustre précisément les limites de ce greenwashing de plus en plus institutionnalisé.

En mars 2022, un collectif de trois organisations, composé de Greenpeace France, les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous, a déposé une plainte devant le tribunal judiciaire de Paris contre la major pétrolière TotalEnergies. À travers cette action, les ONG dénoncent une pratique commerciale trompeuse, au sens des articles L121-2 et L121-3 du Code de la consommation, reprochant à l’entreprise de véhiculer, dans ses campagnes publicitaires et rapports institutionnels, des messages laissant croire à un engagement climatique profond. Le cœur du litige réside dans la revendication d’un objectif de « neutralité carbone » à horizon 2050, associée à des termes comme « énergies responsables » ou « transition énergétique », alors même que l’entreprise continue de développer de nouveaux projets d’exploration pétrolière et gazière incompatibles avec les trajectoires de l’Accord de Paris. En effet, l’article L121-2 du Code de la consommation précise effectivement en son 2° b) que les caractéristiques essentielles du bien ou service concernent en outre « ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental ». La société mise en cause peut alors faire valoir que la neutralité carbone à horizon 2050 n’est pas une propriété du service ou produit vendu par Total, mais cela reviendrait à dire que la production d’énergie n’est pas le coeur de l’activité de la société. Or dans les activités déclarées de Total, la première est bien « toutes activités relatives à la production et la distribution de toutes formes d'énergies y compris d'électricité à partir d'énergies renouvelables », il est alors difficilement concevable de ne pas établir de lien entre la communication environnementale qui est faite et les activités principales du géant pétrolier. Cependant, en mai 2023, une étape décisive a été franchie, le juge des référés a reconnu la recevabilité de l’action, autorisant le traitement de cette plainte au fond, dont l’audience s’est tenue en juin 2025.

Ce contentieux marque une avancée inédite dans la reconnaissance de l’éco-blanchiment comme une problématique juridique à part entière. Pour la première fois en France, une multinationale pourrait être sanctionnée sur le fondement d’une communication environnementale jugée trompeuse. Cette affaire met en lumière l’importance d’un encadrement plus strict des messages véhiculés par les entreprises, et rappelle qu’un objectif climatique, pour être crédible juridiquement, ne saurait être détaché des investissements réels et des choix stratégiques opérés à court terme. Il s’agit ici d’une tentative forte de judiciarisation des promesses climatiques, qui pourrait ouvrir la voie à une jurisprudence contraignante sur les allégations écologiques.

Toutefois, la récente sanction de la DGCCRF à l’encontre de la société ISEL, qui opère la plateforme Shein, marque une étape significative dans la reconnaissance du caractère trompeur de certaines stratégies commerciales mises en œuvre par les géants de la fast fashion. Cette décision, rendue publique en juillet 2025, ne se contente pas de pointer les mécanismes classiques de manipulation des prix par le biais de promotions mensongères, elle s’attaque aussi frontalement à un usage abusif des allégations environnementales dans un contexte où le discours écologique est devenu un levier central de persuasion marketing.

Ce qui est reproché à la plateforme tient en deux volets. D’une part, la DGCCRF révèle que près de 90 % des réductions de prix affichées sur le site étaient soit inexistantes, soit moindres que ce qui était annoncé, certaines relevant même d’une hausse déguisée de prix. Ce constat s’inscrit dans une problématique désormais bien connue, celle d’une consommation incitée par la pression promotionnelle permanente, devenue une norme dans les environnements numériques. Mais d’autre part, et c’est là l’apport majeur de cette décision, la société n’a pas été en mesure de justifier les allégations environnementales qu’elle revendiquait sur son site. Elle affirmait par exemple réduire de 25 % ses émissions de gaz à effet de serre, tout en se présentant comme une entreprise responsable.

Or, dans le cadre du droit de la consommation, et plus précisément des articles L121-2 et L121-3 du Code de la consommation, une allégation environnementale constitue une information substantielle, dès lors qu’elle est susceptible d’influencer la décision économique du consommateur. À défaut de pouvoir justifier la véracité de ses engagements climatiques, la société se rend donc coupable de pratiques commerciales trompeuses par omission ou présentation mensongère. Cette qualification juridique ouvre la voie à une meilleure prise en compte du greenwashing comme comportement illicite autonome, au même titre que les rabais fictifs ou la dissimulation de frais.

L’amende transactionnelle de 40 millions d’euros validée par la procureure de la République de Paris et acceptée par la société ISEL constitue, à ce jour, l’une des plus importantes sanctions administratives prononcées en France au titre de la tromperie environnementale. Elle envoie un signal fort aux plateformes, en leur rappelant que la communication autour de la soutenabilité n’est pas un champ libre à l’imagination commerciale. Elle inscrit dans le droit positif l’idée que toute revendication environnementale implique une responsabilité démonstrative, et qu’aucune entreprise ne peut se prévaloir d’engagements climatiques sans pouvoir en apporter les preuves.

Cette affaire illustre en creux les limites de l’encadrement juridique actuel, qui repose encore largement sur le contrôle a posteriori et sur la capacité de l’administration à engager des enquêtes techniques complexes. En l’absence d’un cadre harmonisé européen imposant des standards vérifiables pour les allégations environnementales, comme le propose la future directive « Green Claims », le risque d’un greenwashing impuni persiste. La décision de la DGCCRF apparaît dès lors comme un jalon, mais non une garantie suffisante, dans la lutte contre la désinformation verte.

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