La loi « fast-fashion » votée au sénat

Le 10 juin 2025, le Sénat a adopté, avec modifications et à l'unanimité, la proposition de loi en première lecture. La proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile s’est déroulée dans un climat particulièrement tendu, marqué par une forte pression des acteurs du secteur de la mode éphémère et des offensives de lobbying comme vu avec l’agence Havas dont le but était de faire basculer l’opinion public contre cette loi. Derrière cette stratégie d’utiliser des slogans forts comme « la mode est un droit, pas un privilège », la marque chinoise visait clairement à décrédibiliser le texte, le présentant comme un danger social plutôt qu’un impératif écologique. Ce recours à l’émotion, combiné à l’activation de réseaux d’influence jusqu’au sommet de l’État, a cristallisé les tensions autour du projet de loi. Dans ce contexte, le travail parlementaire et senatorial s’est retrouvé sous la pression directe d’intérêts économiques puissants.

Face à cette situation, la version adoptée par le Sénat le 10 juin 2025 s’efforce d’aller plus loin que celle votée en première lecture à l’Assemblée nationale en mars de l’année dernière. Le texte votée au Sénat le 10 juin dernier approfondit plusieurs dispositifs clés, en renforçant les obligations d’affichage, en clarifiant les critères d’identification de la fast fashion, et en introduisant de nouvelles mesures fiscales. Mais ce renforcement n’est pas linéaire, et certains choix interrogent quant à leur mise en œuvre réelle, voire laissent un arrière-goût d’opportunité partiellement manquée.

Sur le plan de la définition, le Sénat opère un recentrage terminologique en parlant désormais de « mode ultra express », là où l’Assemblée évoquait simplement le renouvellement accéléré des collections. Le texte adoptée au Sénat précise les conditions dans lesquelles une entreprise peut être considérée comme relevant de cette catégorie, en intégrant notamment le raccourcissement de la durée de vie des produits ou l’absence d’incitation à la réparation. Il étend également la responsabilité aux plateformes numériques facilitant ces pratiques, comme les places de marché, en évaluant leur rôle selon leur canal de vente principal. Cette précision technique rend la loi plus ancrée dans la logique économique de la plateforme, mais risque aussi d’ouvrir des marges d’interprétation ou de contournement, notamment pour les plateformes jouant sur la fragmentation de leurs références ou l’usage de filiales.

L’obligation d’affichage de messages de sensibilisation, déjà présente dans la version de l’Assemblée, est renforcée par le Sénat. Outre les mentions sur la sobriété, le réemploi ou la réparation, s’ajoutent désormais des informations sur l’impact social des produits et celui des services de livraison. Ces messages doivent apparaître de manière claire à proximité du prix, sur toutes les pages de vente concernées. Ce volet marque un progrès, en s’adressant directement au consommateur, mais il reste suspendu à un décret d’application, dont l’ambition effective dépendra de la volonté politique.

La mécanique de responsabilité élargie du producteur (REP) connaît également une évolution significative. Le Sénat maintient le calendrier de pénalités croissantes, débutant à 5 euros par produit en 2025 et atteignant 10 euros en 2030, augmentant ainsi de 1 euro par an. De plus, une restriction importante est introduite, les produits pénalisés ne peuvent plus bénéficier des primes environnementales prévues par les éco-organismes. Cette double incitation, par sanction et par incitation positive, peut avoir le mérite d’orienter les choix industriels. Cependant, le plafond des pénalités est ici porté à 50 % du prix hors taxe du produit, bien que celui-ci soit de 20 % habituellement, le plafonnement des pénalités peut freiner l’efficacité du dispositif sur des produits très peu onéreux. Un flou est aussi persistant quant à la différenciation des sanctions par catégorie de produit, mentionnée dans le cahier des charges des éco-organismes.

L’un des ajouts les plus notables du Sénat est l’introduction d’une taxe sur les petits colis de moins de 2 kg en provenance de pays hors Union européenne, pouvant ainsi éventuellement compenser le plafonnement des pénalités à 50% du prix hors taxe des articles. Ce dispositif ciblant ostensiblement les flux massifs en provenance de plateformes asiatiques devrait être fixé entre 2 et 4 euros par colis, cette taxe repose sur les colis nombreux et légers envoyés par les plateformes telle type SHEIN, Temu ou AliExpress, et constitue une possible réponse aux distorsions de concurrence souvent dénoncées par les acteurs européens. Toutefois, sa faible assiette et la difficulté de contrôle à grande échelle posent la question de son efficacité réelle.

Le Sénat introduit aussi une obligation d’affichage visible de l’origine géographique des textiles, ainsi que l’interdiction du terme « gratuit » comme outil marketing dans le cadre de la mode éphémère. Il est par ailleurs précisé à l’article 1er bis AB de la loi que les plateformes engagées dans ce modèle ne sont plus éligibles à certains avantages fiscaux, comme la réduction d’impôt prévue à l’article 238 bis du Code général des impôts. Autant de garde-fous bienvenus, qui visent à désamorcer les stratégies publicitaires trompeuses et à renforcer la cohérence du dispositif. À cela s’ajoute une dimension éducative, avec l’introduction d’une sensibilisation aux impacts environnementaux des vêtements dans les programmes scolaires, démarche salutaire mais à la portée encore incertaine.

Malgré des ajouts techniques, la version de la proposition de loi sur la réduction l’impact de l’industrie textile du Sénat ne parvient pas à masquer certaines carences. En particulier, elle se distingue par l’absence persistante d’une dimension sociale forte. Aucun des deux textes, ni celui de l’Assemblée, ni celui du Sénat, ne traite de manière frontale la question des droits humains dans les chaînes d’approvisionnement. Rien n’est dit sur les conditions de travail dans les usines des pays tiers, sur les salaires indécents, sur l’exploitation des femmes ou le recours au travail forcé dans certaines régions du globe. Bien que ces problématiques soient directement visées par le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre, ces violations systémiques constituent le socle même de la compétitivité des géants de la fast fashion. En ne les abordant pas, le texte reste partiellement aveugle à la violence structurelle du modèle qu’il prétend encadrer. L’inaction sur ce volet affaiblit son ambition de transformation, en la ramenant à une réglementation environnementale déconnectée des réalités sociales qui l’accompagnent.

Une autre limite majeure de la loi votée par le Sénat en juin 2025 tient à son angle d’attaque, résolument tourné vers les géants asiatiques du commerce en ligne, en particulier SHEIN et Temu, sans remettre en question les pratiques similaires d’acteurs européens. En ciblant prioritairement la production à bas coût venue de l’étranger, le texte donne l’illusion d’un protectionnisme vertueux, tout en épargnant les modèles de renouvellement rapide issus du continent européen puisque, par exemple, une taxe douanière sur les colis ne saurait s’appliquer à des produits envoyés depuis l’Union européenne. Pourtant, des enseignes comme Zara ou H&M, bien qu’implantées sur le territoire de l’Union, poursuivent une logique industrielle de fast fashion à peine moins agressive que leurs concurrents asiatiques, avec des rythmes de collection soutenus, une dépendance à la sous-traitance mondialisée, et des stratégies promotionnelles qui encouragent l’achat impulsif. Cette dissymétrie dans le périmètre d’intervention du législateur interroge, la durabilité environnementale ne peut se satisfaire d’une grille de lecture géographique, surtout lorsqu’elle occulte les pratiques problématiques des entreprises européennes sous prétexte qu’elles seraient mieux intégrées au marché intérieur. En l’absence d’une approche cohérente et équitable, le risque est grand de voir émerger une écologie à deux vitesses, plus politique que structurelle ainsi que permettre à ces acteurs européens de la mode éphémère de prendre simplement les parts de marchés libérées par cette loi.

Si cette proposition de loi marque un pas non négligeable vers une responsabilisation accrue des acteurs du textile, elle laisse donc ouvertes de nombreuses brèches, en particulier sur le plan de la justice globale. La volonté politique de la portée de certaine mesure reste ainsi à constater, la véritable réglementation du secteur passera nécessairement par une articulation plus fine entre normes environnementales, protection sociale et respect des droits humains dans les chaînes de production mondialisées, autant en Europe qu’en Asie.

La proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile a ainsi permis d’ouvrir une brèche dans le traitement juridique de la mode ultra-éphémère, toutefois, force est de constater que le texte, tel qu’adopté par le Sénat, souffrant d’un angle mort majeur, ne s’attaque qu’à une partie du problème. En concentrant sa portée sur les plateformes asiatiques comme SHEIN ou Temu, la loi laisse intacts les modèles similaires promus par des acteurs européens produisant un effet paradoxal, en prétendant endiguer un modèle, la loi en valide d’autres qui en reproduisent pourtant les mêmes logiques de production accélérée, de rotation constante des collections et d’exploitation massive des ressources.

Ce paradoxe vient révéler une limite structurelle de la réglementation actuelle qui est que tant que le droit n’intègre pas une analyse systémique des modèles économiques qu’il prétend encadrer, les mesures adoptées risquent de rester purement symboliques. En ne s’attaquant pas à la quantité de production ou à la logique de volume, le texte oublie que c’est bien la surabondance de l’offre, et non sa seule provenance, qui génère l’essentiel de l’impact écologique. Or, c’est précisément ce modèle productiviste, partagé aussi bien par les groupes asiatiques que par leurs concurrents européens, qu’il faudrait déconstruire. Limiter la portée d’un texte à certaines origines géographiques ne peut que fragiliser son efficacité. 

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